Alfred Latour, un designer de tissu

Alfred Latour, un designer de tissu (1888-1964)

 

Après l’exposition Alfred Latour, un designer de tissu présentée en 2019 dans le dortoir des moines, ce nouvel accrochage rassemble un corpus de motifs basés sur les premiers tirages et dessins réalisés par l’artiste pour son ami Pierre Aynard. Inspirées de l’architecture cistercienne du monument, les œuvres ont été sélectionnées et identifiées d’après d’anciennes photographies ainsi que sur la base de la documentation et du fonds d’archives de la Fondation Alfred Latour.

 

Alfred Latour et Pierre Aynard se sont rencontrés à la fin des années vingt à Arles. À ce moment, Alfred Latour a installé son atelier dans un mas à Eygalières, au pied des Calans dans les Alpilles. C’est là que l’artiste passera le plus clair de sa vie en quête de lumière et de silence. Pierre Aynard partage un même attrait pour cet arrière-pays de Camargue et y acquiert une maison.

 

L’industriel et soyeux lyonnais connaît la réputation d’Alfred Latour, graveur de génie –lequel a notamment été appelé dans les années dix par le peintre Émile Bernard (1868-1941) à transposer sur le bois ses dessins. Dans les années trente, Alfred Latour est un artiste jouissant d’une grande renommée. L’éditeur de soieries Charles Bianchini fait appel à lui pour prendre la succession de Raoul Dufy, auquel il a confié un mandat d’exclusivité pour la réalisation de toiles de soie et de coton imprimées. Alfred Latour conçoit de nombreuses études, qui confirment l’étendue de ses talents de graphiste, de graveur et de designer. Il prouve par l’agencement de ses traits de plume, assemblages de feuillages et de fleurs, la parfaite anticipation qu’il a du motif en mouvement, de l’abstraction du sujet dans le flottement de matière souple (à cette époque, la technique d’impression employée est souvent celle du pochoir). Ses études, d’une grande modernité, sont aussi bien pensées pour la mode que pour le décor d’intérieur.

 

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Pierre Aynard, qui a suivi de près la carrière de son ami, reprend contact avec lui et l’invite à réaliser de nombreux projets, majoritairement destinés à la haute couture. Ce sont les reproductions de ces tissus, exécutés entre 1945 et 1952, qui sont exposées dans la partie centrale du dortoir des moines. À la diffusion de ces tissus, Alfred Latour sera unanimement encensé par la critique pour la fraîcheur et la gaieté de ses propositions. Les coupons originaux font aujourd’hui partie d’un fonds Alfred Latour déposé au musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon.

 

Entre 1948 et 1950, l’aventure s’enrichit du vœu exprimé par Pierre Aynard de remettre au goût du jour l’art de la tenture murale. Aynard sollicite Latour et lui suggère de produire des toiles pour l’abbaye de Fontenay. L’artiste puise alors son inspiration dans les motifs architecturaux et les vitraux de l’abbaye romane. Il transforme l’idée initiale de toiles murales en toiles à usages multiples. Latour est un membre actif de l’Union des artistes modernes (UAM) – mouvement créé par l’architecte Mallet-Stevens. Ce courant prône la simplicité des matériaux, l’épure et la fonctionnalité. Avec la complicité de l’imprimeur François Brunet-Lecomte, les toiles de Fontenay seront imprimées grâce à la technique dite « au cadre » (sérigraphie) sur des toiles de coton. Cet ensemble formé de sept toiles sera exposé à la galerie M.A.I. à Paris en 1951. Elles gardent à ce jour encore toute leur force innovante.

 

Les toiles présentées ici ont été retirées en 2020 par l’entreprise Beauvillé – Manufacture d’impression sur étoffes à Ribeauvillé. Elles ont été imprimées au cadre, soit la même technique employée par François Brunet-Lecomte au début des années cinquante pour ce travail.

 

Pierre Starobinski

 

Abbaye de Fontenay, Montbard, du 3 juillet au 31 août 2021

http://www.abbayedefontenay.com